Le 23 mai 1992, le juge anti-mafia Giovanni Falcone était assassiné par des membres de Cosa Nostra près de Palerme. Deux mois plus tard, son collègue Paolo Borsellino subissait le même sort, mais les deux attentats allaient marquer le déclin de la mafia en Sicile.
A 17h58 exactement, le 23 mai 1992, une puissante explosion éventre une portion de l'autoroute qui mène à l'aéroport de Palerme. La déflagration est si puissante qu'elle est enregistrée par l'Institut national de géophysique, qui d'ordinaire prend le pouls de l'Etna.
Le juge antimafia Giovanni Falcone, sa femme et trois membres de son escorte sont tués. Une charge de 500 kilos de TNT et de nitrate d'ammonium a été placée à l'aide d'un skateboard dans une conduite d'eau qui passe sous l'autoroute reliant l'aéroport au centre de la capitale sicilienne. Au kilomètre 4, il ne reste plus qu'un cratère d'un mètre de profondeur, un amas de tôle, d'asphalte, de pierres et de corps déchiquetés.
La bombe a pulvérisé la voiture de tête, projetée à plusieurs centaines de mètres. Les trois policiers à bord sont tués. Dans l'autre voiture, une Fiat Croma blanche blindée, le juge Falcone, qui conduit, et son épouse Francesca Morvillo, côté passager, sont mortellement blessés. Le chauffeur est assis à l'arrière: il survit, tout comme les trois agents circulant dans la voiture de queue
Sur les lieux de l'attentat se dresse aujourd'hui un "jardin de la mémoire", dont les oliviers produisent une huile utilisée par les églises siciliennes pour les onctions lors des baptêmes ou confirmations.
Symbole du sursaut de l'Etat face à Cosa Nostra
Le juge Falcone symbolisait le sursaut de l'Etat italien face à Cosa Nostra, dite "La pieuvre", qui avait ses entrées dans les plus hautes sphères du pouvoir italien.
C'est le juge Falcone qui, grâce aux confessions du "repenti" Tommaso Buscetta (il n'a jamais accepté ce terme), avait instruit le premier "maxi-procès" de la mafia ayant conduit en 1987 à la condamnation de centaines de mafieux.
Au moment de l'attentat, il travaillait à Rome où il dirigeait le département des affaires pénales au ministère de la Justice après avoir quitté le parquet de Palerme en 1991. A son poste, Giovanni Falcone travaillait à un paquet de normes anti-mafia: Cosa Nostra sait qu'il est encore plus dangereux dans la capitale que sur l'île.
"Un massacre de la mafia", titre le lendemain le quotidien La Repubblica avec une photo du célèbre magistrat moustachu alors que des milliers de Palermitains descendent dans la rue pour exprimer leur indignation.
Collaboration avec Carla Del Ponte
Le magistrat avait déjà fait l'objet de menaces de mort et d'une tentative d'attentat le 21 juin 1989. Une bombe avait été découverte juste à temps près de sa villa de Palerme et avait pu être désamorcée. Ce jour-là, Giovanni Falcone était en compagnie de collègues luganais, la procureure Carla del Ponte et le juge Claudio Lehmann. Il enquêtait avec eux sur les fonds de la mafia au Tessin.
Après son assassinat, tous les regards s'étaient tournés vers Paolo Borsellino, considéré comme "le frère siamois" du magistrat assassiné, celui qui recueillait ses confidences et était lui aussi procureur du parquet anti-mafia.
Mais le 19 juillet, 57 jours après son ami, Paolo Borsellino était à son tour tué dans un attentat à la bombe avec cinq membres de son escorte. Seul son chauffeur en avait réchappé.
Le chef suprême Toto Riina arrêté en 1993
C'en était trop pour l'Etat italien, qui avait déployé alors ses meilleurs carabiniers et policiers pour traquer le chef suprême de Cosa Nostra, Salvatore Riina. Surnommé "La belva" ("le fauve"), Toto Riina faisait régner la terreur depuis plus de vingt ans, ordonnant des centaines d'assassinats. Il avait finalement été arrêté le 15 janvier 1993 dans les rues de Palerme avec son chauffeur.
A court terme, les assassinats de Falcone et Borsellino avaient ralenti les enquêtes anti-mafia". Mais sur le long terme, ils se sont révélés une très mauvaise affaire pour Cosa Nostra, dont l'équipe dirigeante a été décapitée par les arrestations et les confessions des repentis.
La justice italienne a prononcé des dizaines de condamnations dans ces affaires. Les exécutants ont fini derrière les barreaux ou six pieds sous terre.
Liens avec le pouvoir mis au jour
Les rescapés et proches des victimes considèrent cependant toujours qu'il manque des pièces au puzzle. Falcone lui-même évoquait de "possibles points de convergence entre les dirigeants de Cosa Nostra et les centres occultes de pouvoir".
"Il manque la vérité sur les véritables commanditaires de l'assassinat de Giovanni Falcone, parce que je ne crois pas que des ignorants comme Toto Riina aient pu organiser un attentat aussi sophistiqué", estime Angelo Corbo, policier rescapé de l'attaque, dans un documentaire du site Fanpage.it.
Dans ce dossier, dénonce-t-il, "les hommes en costume-cravate" n'ont pas été inquiétés. Pourtant en 2013, la justice italienne a classé sans suite l'enquête sur les "commanditaires occultes" de l'attentat. "Il n'existe aucune preuve de l'existence de commanditaires externes (...). Ce sont des actes mafieux, il n'y a aucun doute là-dessus", selon Vincenzo Ceruso.