Bobigny, octobre 2024 — Bernard Bajolet, ancien directeur de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) de 2013 à 2017, se retrouve au centre d'une affaire judiciaire retentissante. Accusé de complicité de tentative d'extorsion à l'encontre de l'homme d'affaires franco-suisse Alain Duménil, il sera prochainement jugé devant le tribunal correctionnel de Bobigny. Cette procédure, qui met en lumière des pratiques controversées de l'appareil de renseignement français, pourrait ébranler l'institution.
Des accusations graves : extorsion sous couvert de l'État
L'affaire remonte à mars 2016. Alain Duménil, homme d'affaires au passé marqué par des démêlés judiciaires, est interpellé par la police aux frontières alors qu'il s'apprête à embarquer pour Genève depuis l'aéroport de Roissy. Conduit dans un poste de police, il y rencontre deux agents de la DGSE en civil, qui lui demandent de restituer 15 millions d'euros prétendument dus à l'État français. Les agents auraient renforcé leurs propos en montrant des photographies de Duménil et de sa famille, prises à l’étranger, accompagnées de menaces voilées.
Face à ce qu'il considère comme une tentative d'intimidation, Duménil porte plainte. Il dénonce des méthodes coercitives, et bien que les agents n'aient jamais été identifiés, sa plainte ouvre la voie à une instruction judiciaire visant directement le commandement de la DGSE.
La mise en cause de Bernard Bajolet
Dans son ordonnance en date du 23 octobre 2024, la juge d’instruction a estimé qu'il existait des « charges suffisantes » pour caractériser une complicité de tentative d’extorsion à l'encontre de Bernard Bajolet. Ce dernier, selon l'accusation, aurait validé l'opération à Roissy, en connaissant les conditions coercitives dans lesquelles elle se déroulerait. Bajolet, entendu par la juge, a défendu que son autorisation ne visait qu'une simple prise de contact sans pression. Pourtant, les éléments recueillis par la magistrate renforcent le soupçon d'une volonté d'exercer une pression directe sur Duménil.
Pour les avocats d'Alain Duménil, William Bourdon et Nicolas Huc-Morel, ce procès dépasse la personne de Bernard Bajolet. « Ce procès (...) sera celui de la DGSE et du dévoiement de ses missions à des fins privées », ont-ils déclaré, dénonçant une instrumentalisation du renseignement pour des règlements de comptes personnels.
Un conflit de longue date entre la DGSE et Alain Duménil
Les tensions entre Duménil et la DGSE prennent racine dans des affaires financières et des investissements risqués datant de la fin des années 1990. À l'époque, la DGSE avait acquis des parts dans une société avant que Duménil ne prenne le contrôle majoritaire de celle-ci, créant ainsi une dépendance financière complexe. Avec le temps, l'homme d'affaires aurait transféré des parts à d'autres entités, provoquant des pertes pour la DGSE, qui, en retour, a tenté de récupérer ses fonds par divers moyens.
L'implication de Bernard Bajolet dans cette tentative de recouvrement symbolise un tournant inquiétant pour la DGSE, à qui l'État a longtemps confié un « patrimoine privé » autonome. Ces ressources, soustraites aux contrôles financiers, sont initialement destinées à assurer la survie de l'État en cas de crise majeure. Cependant, cette affaire jette une ombre sur l’utilisation de ces fonds et sur la gouvernance interne de l’institution.
Un procès qui pourrait marquer l'avenir de la DGSE
Le jugement à venir pourrait avoir des répercussions considérables pour la DGSE, ses pratiques, et plus largement pour l'image des services de renseignement français. Bien que la DGSE n'ait pas souhaité commenter cette affaire en cours, les observateurs s'interrogent sur le futur de l'institution, qui pourrait être confrontée à une refonte de ses mécanismes de contrôle interne et de sa gestion des ressources.
Alors que Bernard Bajolet, désormais retraité, se retrouve seul à répondre de ses actes, ce procès incarne une mise en accusation indirecte des méthodes de la DGSE et pourrait bien inaugurer une ère de remise en question.